Les caractéristiques du Shotokan
Le shōtōkan, comme les autres arts martiaux, est traditionnellement divisé en trois parties :
- le kihon ou « fondements »
- le kumite
- le kata (formes ou modèles des mouvements).
Les techniques de shōtōkan dans le kihon et les katas sont caractérisées par des positions profondes et longues qui fournissent la stabilité, mouvements puissants et positions renforçant les jambes. La force et la puissance sont souvent démontrées au moyen de mouvements plus lents et plus retenus.
Les techniques de kumite reflètent ces positions et mouvements à un niveau moins élevé, et sont davantage « libres » et flexibles.
Le fondateur du Karaté SHOTOKAN est Gichin Funakoshi, descendant d'une lignée de samouraïs (1868 - 1957).
Sensei Yoshitaka Funakoshi "Gigo" (1907-1945)
Gichin Funakoshi eut trois fils et une fille. Le plus jeune, Yoshitaka s'était installé au Japon avec son père, alors que sa mère et les autres enfants sont toujours restés à Okinawa. Après l’ouverture du Shōtōkan en 1936, Gigo devint son premier assistant. Funakoshi père était alors appelé le vieux Maître, et Gigo le jeune Maître. Ils avaient une vision très différente de l’entraînement. Funakoshi père basera principalement son enseignement sur la pratique exclusive des katas, et de ses applications, le bunkai, il s’opposera toujours au combat libre et à toute forme compétitive. Son fils préférait la compétition et voulait un Karate avec un esprit semblable à celui qu’on trouvait en Kendō ou en Ju-dō.
Avec du recul, on peut supposer que Funakoshi père enseigna en privé à son fils la partie guerrière du Shuri-te d'Azato et de Matsumura. Le style de Gigo était très proche de celle trouvée dans le style de sabre Jigen-ryu pratiqué par Matsumura et Azato. Ces deux Maîtres sont décédés respectivement en 1896 et 1906...
Taiji Kase nous raconte sa rencontre avec le fils de Gichin : "Quand j'ai commencé la pratique du Karate, nos seniors nous ont expliqué que Sensei Funakoshi Gichin fut le pionnier du Karate. Mais ils nous ont dit également que la grande évolution, révolution et développement de celui-ci fut réalisée par son fils Yoshitaka. Il fit un Karate plus rapide, plus fort, plus dynamique. Le Sensei Yoshitaka cherchait la réalité, l'efficacité, si réellement les techniques fonctionnaient contre les attaques. Mais l'important à comprendre c'est que la grande évolution, du Karate que le Sensei Funakoshi Gichin amena d'Okinawa, jusqu'au Karate que faisait le Sensei Yoshitaka, fut possible grâce au concept de O-Waza (technique de longue distance) avec le maximum de puissance et de vitesse."
Instructeur du dōjō Shōtōkan entre 1938 et 1945, Yoshitaka met en place le système de grades inspiré du Ju-dō et fondé sur les Kyus et les Dans. Il délègue également l'enseignement universitaire à l'élève le plus ancien de chaque groupe d'étude. Il développe le combat libre selon plusieurs critères techniques et stratégiques afin d'en améliorer l'efficacité À la vitesse d'exécution, à l'agilité des mouvements, Yoshitaka introduisit des positions de plus en plus basses, des attaques plus longues et puissantes. De plus, il modifia les positions, mais aussi l'amplitude des mouvements.. À l'époque où il prit la responsabilité du dōjō Shōtōkan, Yoshitaka devient aux prix d'efforts incroyables, un expert dans son art martial.
Cependant, sa jeunesse lui font apporter des modifications que son père n'apprécie pas toujours. Il prône les techniques plus puissantes et dynamiques ainsi que le combat souple, le kumite, littéralement mains (te) qui se rencontrent (kumi). Il reprend ainsi l'idée émise par Otsuka quelques dix ans auparavant pour introduire le kumite dans la pratique. Le ippon kumite s'est développé vers le jyu ippon kumite puis le jyu kumite. Sous l'impulsion de plusieurs élèves, dont Nakayama, Yoshitaka décide d'inclure l'exercice du combat libre dans son enseignement, ainsi que plusieurs nouveaux coups de pieds tels le yoko-geri, le mawashi geri et le ushiro geri.
Par rapport au style ancien, les positions devinrent plus basses et plus fendues, presque écrasées au sol, les attaques plus longues et plus puissantes avec le concept de chi-mei. Le chi-mei est un principe que l'on retrouve dans plusieurs martiaux ; il s'agit d'être capable de donner la mort en un seul coup (Ikken-hissatsu) avec ou sans arme. À cette époque le Karate était uniquement un budō, ce n'est que plus tard qu'il dérivera vers un concept plus sportif. Il existait bien à cette époque une forme du shiai, le kokan-geiko, qui était l'ancêtre de la compétition actuelle. Le kokan-geiko (entraînement d'échanges courtois) était une rencontre entre équipes de dojos rivaux, une habitude fréquente avant 1940. Ces échanges courtois dégénéraient régulièrement en confrontations acharnées et hors contrôle.
La puissance physique de Yoshitaka était exceptionnelle. Des anecdotes racontent qu'il cassait souvent en deux les makiwaras. Son style très personnel est celui que plusieurs karatékas adopteront plus tard. Voici d'ailleurs un autre témoignage de Kase Taiji au sujet sa première rencontre avec Yoshitaka : "C'était en 1944. Les classes pour débutants étaient généralement données par le Sensei Hironishi. Mais un jour, un autre Sensei donna la classe, je ne le connaissais pas et ne savais pas qui il était et quand j'ai demandé on m'a dit qu'il s'agissait de Waka Sensei (le jeune Sensei), le fils de Funakoshi Gichin. Pendant cette classe, Yoshitaka nous a enseigné comment faire Mae-Geri lentement et sans baisser la jambe jusque par terre, comment faire Yoko-Geri et sans rentrer Yoko-Geri comment enchaîner avec Mawashi-Geri. Ensuite il nous dit : "je vais maintenant vous montrer comment nous le faisons habituellement" et il fit les trois coups de pied si rapidement et si puissamment que je me souviens encore d'avoir vu la lumière blanche du pantalon de son karategi et entendu un bruit sec comme celui d'un fouet. Nous en sommes tous restés très impressionnés. Quand nos Seniors nous enseignaient les Katas, ils nous racontaient que lorsque Funakoshi Yoshitaka démontrait un kata, ceux qui le voyaient percevaient une sensation spéciale, la terrible impression d'un danger imminent. Et ils nous disaient que c'était comme ça qu'il faillait faire les katas de telle sorte que ceux qui les observent perçoivent et remarquent quelque chose, sentent la vibration de notre force intérieure et de notre détermination. Si ceux qui nous observent ne sentent rien, c'est que le kata n'est pas bien fait, c'est un kata du type "gymnastique ou danse".
À partir de 1940, l'entraînement était devenu extrêmement difficile au Shōtōkan. Yoshitaka était maintenant chef instructeur assisté d'Hironishi, Uemura et Hyashi. Le contexte de la seconde Guerre Mondiale ne favorisait guère les recherches spirituelles. Un certain nombre de dojos servaient à l'entraînement des kamikazes et certains officiers et responsables de la redoutable Kempetai, équivalent de la gestapo. Murakami Tetsuji et Kase Taiji ont d'ailleurs commencé à pratiquer le karate dans ce contexte guerrier de 1944-1945...
Funakoshi Gichin rentre en conflit avec son fils car il n'est plus du tout d'accord avec la tournure que prend le Karate. Dès 1945, à l'âge de 77 ans, il décide de retourner à Okinawa et rejoindre ainsi sa femme, laissant à son fils le dōjō Shōtōkan du quartier de Meijuro à Tōkyō. En 1945, peu après la fin de la guerre, suite aux privations sa santé se dégrade, Sensei Yoshitaka est hospitalisé et meurt finalement de la tuberculose.